Croc-Blanc
Vinrent le crépuscule et la nuit étoilée. Depuis qu’il avait fui sous les rires, Croc-Blanc n’avait plus quitté la louve. Son museau était encore passablement douloureux, mais la souffrance véritable était ailleurs, dans sa tête, dans sa mémoire. Pour la première fois de sa vie, il regrettait quelque chose. Il avait besoin de calme et de paix. Il rêvait de son petit univers tranquille, la tanière, le torrent, la clairière, le sapin foudroyé. La vie du camp était trop fatigante. Il y avait trop d’humains, trop de chiens, trop de bruit et de mouvements. L’activité incessante, la plupart du temps imprévisible, des uns et des autres mettait ses nerfs à rude épreuve. Les dangers cachés, les catastrophes qui pouvaient se déclencher à tout instant, l’obligeaient à demeurer sur ses gardes, lui interdisaient le repos. (…) Pourtant, il ne songeait pas encore à se séparer des humains. Comme les hommes qui inventent des mythologies ne peuvent plus supporter ensuite que les cieux demeurent vides, il ne concevait pas qu’ils puissent disparaître de sa vie. Créateurs de l’inexplicable, magiciens de l’impossible, maîtres des choses vivantes et des choses inertes, commandant les mouvements de ce qui bouge, donnant le mouvement à ce qui ne bouge pas, ils avaient à ses yeux tous les pouvoirs.
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