Le Dépouillement par l’espace
Enfin, avant de rentrer je lève la tête. Un ciel noir s’étendait partout avec beaucoup d’étoiles. Je m’y abîmai. Ce fût extraordinaire. Instantanément dépouillé de tout comme d’un pardessus, j’entrais en espace. J’y étais projeté, j’y étais précipité, j’y coulais. Par lui happé violemment, sans résistance.
Prodige jamais soupçonné… Pourquoi ne l’avais-je connu plus tôt ? Après la première minute de surprise il paraissait tellement naturel d’être emporté dans l’espace. Et pourtant, combien de fois n’avais-je pas regardé d’aussi beaux et de plus beaux ciels sans autre effet qu’une vraie et vaine admiration. Admiration : antichambre, rien qu’antichambre. Une fois de plus je le vérifiais.
C’était –ce que je vivais- bien autre chose que de l’admiration, un registre tout différent.
Quoi au juste ? Ce n’était pas facile à saisir. Comme soustrait à la terre, me sentant emporté invinciblement par le haut, entraîné toujours plus loin, grâce à une merveilleuse lévitation, dans un espace qui n’en finissait pas, qui ne pouvait pas finir, qui était sans commune mesure avec moi, qui toujours plus me tirait à lui, je m’élevais, de plus en plus, aspiré inexplicablement, sans qu’évidemment je pusse jamais arriver. D’ailleurs, arriver où ?
Cela aurait pu être épouvantable. C’était rayonnant.
Gallimard 1966
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