Le Désert
Alger, les terrasses. D’ici, je vois la mer, bleue et sans limites. Elle prend tout, le port, les cargos, la ville, soudain amoindrie. Derrière moi, sur l’autre terrasse, si je regarde loin, après la forêt, après les montagnes, si je ferme les yeux, je vois le désert. Je l’entends. Il n’est pas silencieux. Il est vivant. Il se fait encore avec le vent, avec le mouvement du sable, avec la transformation des pierres. Il se construit. Il est composé. Il est en grottes, en cratères, en dunes vierges, en crêtes, en lignes rouges, en pistes à suivre. Le désert ressemble à la mer, je crois. Ainsi ma ville est prise entre l’eau et le sable. Ainsi mon corps se tient entre ces deux extrêmes, soumis à ce rapport de forces-là : se noyer ou se perdre. Je n’ai pas peur de la mer. Je n’ai pas peur du désert. Je n’ai pas peur de ces deux parents. Je reste en équilibre. Je vais, d’une terrasse à l’autre, du réel au songe ; là, le désert devient mon invention. On dit qu’il avance. Qu’il arrive. Qu’il menace. Comme la mer recouvrira tout un jour. Mais je n’ai pas peur. (…) Le désert est une autre lande. Un pays à l’intérieur du pays. Un souffle dans le corps de celui qui le traverse. Puis le corps même. Ici, on dit qu’il rend fou.
In Vers de nouveaux horizons. Gallimard 2005.
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